La finance islamique dans un contexte de distribution équitable de la richesse

Au sujet de l’auteur : Moin Kermani, ENG., MBA, est président fondateur de deux institutions financières islamiques à Montréal. Il enseigne à l’École de gestion John Molson de l’Université Concordia. Il a déjà travaillé pour Alcan Aluminium et British Petroleum.

Qu’est-ce que le système financier islamique?

Le système financier islamique vise essentiellement à éliminer l’exploitation et à établir une société juste par la mise en application de la charia, la loi religieuse de l’Islam. L’établissement d’une société juste est l’un des principaux objectifs ou « maqasid » de la charia.

La finance islamique peut être considérée comme un modèle d’investissement éthique. Ceux qui y adhèrent ainsi que les clients qui choisissent ce type de finance ne doivent pas être musulmans, mais ils doivent accepter les valeurs éthiques conformes à la loi islamique.

La propriété privée et le rendement sur l’investissement en biens et services sont permis. Toutefois, il est interdit de percevoir des intérêts sur de l’argent prêté, puisque l’argent n’est considéré que comme une mesure de la valeur et non comme ayant une valeur intrinsèque. La charité est fortement encouragée et un impôt sur la richesse, nommé « Zakat », est exigé des individus fortunés.

Puisque la propriété privée est permise et qu’un profit ne peut être obtenu que par le biais de l’entrepreneuriat et de la prise de risques, certains auteurs interprètent ce type de finance comme étant du capitalisme à l’état pur. D’autres auteurs tiennent compte des valeurs sociales et de l’esprit de coopération qui sous-tendent la finance islamique et la définissent plutôt comme étant du capitalisme avec un cœur.

Sources et caractéristiques de la charia

Les deux sources principales de la charia sont le livre sacré des musulmans, le Coran, ainsi que la Sunna qui rapporte les actions et les paroles du prophète Mahomet. Le consensus des érudits islamiques ou Ijma constitue une autre source importante de la charia, et ce, dans la mesure où de tels jugements ne sont pas en contradiction avec les deux sources principales.

Les caractéristiques principales de la charia appliquées dans le contexte de la finance islamique sont :

  • L’interdiction de la riba ou de la perception d’intérêts et le partage des profits et des pertes.
  • Transparency in transactions and the prohibition of gambling (Maysir) and speculation (Gharar). Prohibition of trading in options & derivatives and speculative trading in commodities are included in this principle.
  • Toutes les transactions doivent impliquer un actif ou un service tangible.
  • L’interdiction d’investir dans des activités proscrites ou immorales.
  • L’accent est mis sur la coopération dans le but d’en tirer mutuellement des profits.

Ce qui distingue la finance islamique de la finance conventionnelle

Comme nous l’avons vu précédemment, la charia interdit la perception d’intérêts, les jeux de hasard et la spéculation. Toutefois, la différence fondamentale est philosophique et c’est cette philosophie qui permet d’expliquer le raisonnement derrière ces interdictions. L’objectif d’un système financier islamique est d’éliminer l’exploitation et de promouvoir la justice; la perception d’intérêts est donc considérée comme étant de l’exploitation, car cette pratique favorise l’institution financière prêteuse à qui on garantit un rendement fixe, alors que l’entrepreneur, qui déploie tous les efforts, n’a pas cette tranquillité d’esprit et est celui qui doit prendre tous les risques.

Selon un érudit, « L’une des sources importantes de revenus non justifiés est de profiter d’un avantage pécuniaire sans offrir une contrepartie équitable. » À la lumière de cet énoncé, il est facile de comprendre pourquoi il est interdit de percevoir des intérêts, de jouer à des jeux de hasard ou de spéculer. L’Islam permet un rendement sur un investissement ou un prêt qui crée un actif ou un service utile, mais interdit de faire de l’argent avec de l’argent.

La finance islamique et la crise financière récente (2008)

Si les principes de la finance islamique étaient appliqués dans le système bancaire conventionnel, nous aurions échappé à la crise financière. La finance islamique promeut les activités d’affaires fondées sur des projets légitimes et équitables. Il existe un lien étroit entre les flux financiers et la productivité. Cette propriété isole les entreprises contre les risques des leviers financiers et des activités spéculatives. De plus, le partage des profits et des pertes entre les parties assure un haut niveau de transparence. La crise financière récente était fondée sur des prêts hypothécaires à risque élevé et le reconditionnement de ces prêts en produits financiers dérivés complexes. Tous ces produits financiers étaient à leur tour fondés sur la perception d’intérêts, la spéculation et le manque de transparence qui sont tous interdits en finance islamique. C’est pour cela que les banques islamiques figurent parmi celles ayant été les moins touchées par la crise financière.

État actuel de la finance islamique

On estime que les institutions financières islamiques gèrent actuellement des actifs d’environ mille milliards de dollars américains et présente un taux de croissance de 10 à 15 %. Il y a plus de 300 institutions financières islamiques dans plus de 75 pays, y compris au Canada et aux États-Unis. Il existe plus de 250 fonds communs de placement islamiques et la vente d’actifs islamiques sous forme d’obligations (sukuk) est d’environ 25 milliards de dollars américains.

Initiatives montréalaises en matière de finance islamique

Il y a deux entreprises qui sont en activité depuis environ vingt ans. De loin, la plus importante et celle ayant connu le plus grand succès est la Qurtuba Housing Cooperative, une entreprise qui finance l’achat de maisons pour les familles et individus musulmans par le biais d’une entente de partenariat avec participation décroissante nommée Musharakah mutanaqisah. Cette entente ne dépend pas des taux d’intérêt et est semblable à un contrat de location avec option d’achat. L’autre entreprise utilise ses contacts dans le milieu islamique pour l’achat de voitures, d’ordinateurs et d’équipements commerciaux. Les contrats utilisés sont le plus souvent de type coûts plus le coût de financement et location avec option d’achat.

Un programme d’assurance islamique ou Takaful est également offert aux clients en collaboration avec une société d’assurance coopérative canadienne d’envergure.

Quelques critiques et observations à l’égard de la pratique actuelle de la finance islamique

Si les principes qui sous-tendent la finance islamique sont si intéressants, une question monte aux lèvres : Pourquoi n’est-elle pas utilisée à grande échelle, possiblement sous un autre nom séculier? La réponse vient du fait qu’il s’agit d’une nouvelle industrie, bien qu’elle soit fondée sur des concepts relativement anciens et qu’elle éprouve actuellement des difficultés de croissance. Cette industrie souffre de la concurrence avec la finance conventionnelle qui est beaucoup mieux établie qu’elle, de sa tendance à imiter les produits conventionnels, de respecter la charia sans atteindre les objectifs de la charia et d’un manque de constance dans l’interprétation, la mise en application et la vérification des règles de la charia. Il est important de mentionner que l’environnement économique moderne diffère considérablement de celui qui prévalait au moment où la charia a d’abord été élaborée et les règles de la charia doivent être réformées ou « Ijtihad » pour être appliquées à l’économie actuelle. Le fait que la finance islamique ne soit pas considérée comme étant compatible avec le système de réserves fractionnaires tant utilisé par les banques du monde moderne constitue également une embuche importante.

Conclusion

L’avenir de la finance islamique est lié au pouvoir politique et économique des communautés musulmanes du monde entier, particulièrement celles dans les pays majoritairement musulmans. Plus important encore, il est lié à la réussite de systèmes financiers éthiques semblables qui tentent de réformer les systèmes bancaires et financiers conventionnels actuels. La force politique et économique des états et des institutions qui font usage des systèmes conventionnels est telle qu’il est difficile de prévoir de grands changements à court terme.